Association médicale canadienne

En tant que médecin, je crois aux soins de santé, à l’éducation, à la garde d’enfants et aux autres programmes soutenant la population canadienne au quotidien qui sont financés par les contribuables. J’ai décidé d’exercer la médecine parce que j’ai à cœur d’aider les autres. Plus précisément, j’ai choisi la médecine familiale pour l’effet positif que je peux avoir sur ma patientèle, que ce soit en accueillant un nouveau-né en ce monde, en soutenant les jeunes aux prises avec des troubles de santé mentale ou en supervisant les soins des personnes âgées durant leurs vieux jours.

Les investissements publics dans le domaine de la santé sont nécessaires et encouragés. Je salue les initiatives et les investissements qui visent à résoudre la crise du logement au Canada, car nous connaissons bien les répercussions sur la santé des logements inadéquats, ainsi que d’autres déterminants sociaux de la santé.

Les nouveaux investissements dans les domaines de la santé et du logement, entre autres, s’accompagnent du besoin de générer plus de recettes ou de réduire les dépenses. Dans son budget de 2024, le gouvernement fédéral propose de faire passer de 50 % à 67 % le taux d’inclusion des gains en capital à partir de juin 2024. Cette hausse s’appliquerait aux gains en capital réalisés par des particuliers supérieurs à 250 000 $ et à tous ceux réalisés par des sociétés professionnelles. La majorité des médecins qui dirigent des cliniques communautaires seraient donc touchés par l’augmentation.

La plupart des Canadiens et des Canadiennes semblent d’avis qu’il serait sensé de taxer davantage les médecins. Ce débat anime vraisemblablement les réunions familiales et cheminera probablement jusqu’à la Chambre des communes lors des délibérations budgétaires. Considérons toutefois certains éléments pour mieux comprendre la situation.
 
En tant que médecin travaillant en milieu communautaire et exploitant un cabinet, je dois financer mon bureau, tout l’équipement et le matériel médical, l’électricité, les salaires du personnel, le système de conservation des dossiers médicaux nécessaire pour diriger une clinique comme il se doit, le matériel de stérilisation, et plus encore.

Pour gérer un cabinet, environ 60 % des médecins au Canada – y compris moi-même – se constituent en société professionnelle dans un souci d’efficacité fiscale pour gérer les dépenses et s’assurer un revenu de retraite. Les médecins n’ont pas accès à un régime de retraite ou à un régime d’avantages sociaux offerts par un employeur ou le gouvernement, à des congés parentaux, à des congés de maladie ou à des vacances payées. Nous sommes également entièrement responsables du financement des avantages sociaux de notre personnel. Advenant une augmentation du coût du loyer, des primes d’assurance ou des fournitures médicales, par exemple, nous ne pouvons pas simplement refiler la facture à notre patientèle, car nos frais sont déterminés par la province ou le territoire où nous exerçons la médecine. Cette infrastructure est essentielle à la prestation de soins de santé au Canada et ne peut pas être facilement remplacée.
 
Pour que leur clinique reste moderne et bien équipée, les médecins doivent régulièrement réinvestir du capital pour améliorer les soins à la patientèle, moderniser l’équipement, agrandir les locaux ou acheter de nouvelles technologies. Ces investissements rehaussent considérablement l’expérience des patients et des patientes, et contribuent à leur bonne santé.
 
En proposant ces modifications fiscales, le gouvernement fédéral fait savoir qu’il entend rendre le système fiscal plus équitable en mettant davantage à contribution les mieux nantis pour soutenir, par exemple, les domaines du logement et des soins de santé au service de toute la population canadienne. Cela dit, cette proposition a comme contrecoup de peser sur les médecins travaillant en milieu communautaire, comme les médecins de famille et les pédiatres et tous les autres professionnels et professionnelles de la santé dont la population a désespérément besoin.
  
Avec les nombreuses conséquences persistantes de la pandémie et un système de santé qui a été poussé bien au-delà de ses limites, les médecins réclament des investissements qui permettraient de stabiliser le système. Lorsque 6,5 millions de Canadiens et de Canadiennes se retrouvent sans médecin de famille, mettre en place les conditions nécessaires pour éviter que les médecins ferment leur cabinet n’est pas seulement prudent, mais nécessaire.

Dans un monde où l’on doit se battre pour avoir accès à des professionnels et des professionnelles de la santé, les médecins sont en forte demande. Il est essentiel de créer un marché compétitif si l’on souhaite réellement résoudre le problème d’accès aux soins primaires dans notre pays. À cet égard, certains gouvernements européens ont une longueur d’avance sur nous; ils offrent des incitations fiscales afin de maintenir les médecins en activité aussi longtemps que possible dans leur pays.

Le mercredi 1er mai marquait la Journée nationale des médecins au Canada, l’occasion de célébrer les contributions des médecins à notre bien-être individuel et collectif. Ce jour-là, des responsables des orientations politiques étaient à Ottawa pour discuter du budget fédéral et de  l’augmentation du gain en capital réalisé par des sociétés professionnelles. Peut-être devraient-ils aussi le point sur la charge croissante qui pèse sur les épaules des personnes que nous devrions célébrer.

Nous trouvons encourageant que le gouvernement fédéral soit ouvert à discuter des nouvelles mesures fiscales afin de mieux comprendre les effets de sa proposition. Nous savons qu’il s’est engagé, en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, à renforcer le système de santé en ces temps où la population en a le plus besoin. Cet engagement doit toutefois prévoir un soutien aux médecins, sans lesquels le système de santé ne tiendrait pas debout.
  
Les augmentations proposées des gains en capital ont des conséquences tangibles, en particulier pour les médecins en milieu et en fin de carrière, qui pourraient choisir de réduire leurs heures de travail ou de partir à la retraite plus tôt. Elles touchent aussi les étudiants et les étudiantes en médecine, que nous devons orienter vers la médecine familiale et la médecine de proximité comme choix de spécialité.

Les changements proposés devraient inquiéter toute la population. J’ai espoir que le gouvernement travaillera de façon proactive et collaborative afin de répondre aux préoccupations soulevées par le milieu médical. La dernière chose dont notre système de santé surchargé a besoin, c’est d’une autre raison pour les médecins d’envisager de raccrocher leur stéthoscope.

La Dre Kathleen Ross est médecin de famille à Coquitlam et à New Westminster, en Colombie-Britannique, et présidente de l’Association médicale canadienne.  

Ce commentaire a été publié par le Hill Times le 6 mai 2024.
 

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