Association médicale canadienne

tamara hinz

Certaines provinces canadiennes ont mis en place des restrictions à l’accès aux soins pour les jeunes trans et non binaires. À l’approche du mois de la Fierté, l’AMC s’est entretenue avec la Dre Tamara Hinz, pédopsychiatre à Saskatoon, à propos des éventuels préjudices subis par ces jeunes, et de la façon dont les médecins peuvent les aider et soutenir l’ensemble de la communauté 2SLGBTQI+.

Quels sont les obstacles auxquels se heurtent les jeunes trans qui cherchent à obtenir des soins de santé physique ou mentale au Canada?

Les personnes que je traite doivent attendre parfois jusqu’à deux ans pour une consultation externe avec un pédopsychiatre, en plus de subir comme tout le monde les effets de la surcharge des services d’urgence et des lacunes en matière de soins primaires. Ces personnes doivent en plus relever le défi de trouver des prestataires de soins de santé qui prônent l’inclusion et la non-discrimination, et avec lesquels elles se sentiront acceptées. Les obstacles s’accumulent pour les jeunes trans, qui estiment parfois qu’il est dangereux ou inacceptable de s’affirmer sans personne pour les aider à chercher les soins nécessaires dans un système de santé où l’on se perd facilement.

Bon nombre de ces jeunes rapportent malheureusement des récits horribles de « délégitimation » ou de marginalisation, intentionnelle ou non, en raison de leur identité sexuelle ou de genre; on ne s’étonnera donc pas qu’ils hésitent à chercher des soins.

Quelles sont les principales inquiétudes des personnes qui s’identifient comme trans ou non binaires?

Elles font état de problèmes liés à l’intimidation ou à l’acceptation, et de tensions ou de difficultés à la maison. Par exemple, des personnes me demandent de les appeler d’une certaine façon et d’utiliser certains pronoms lors de nos rencontres individuelles, mais pas en présence de leur famille, car elles ne se sentent pas encore prêtes ou suffisamment en sécurité pour faire leur sortie du placard à la maison. D’autres jeunes qui se font mettre à la porte en raison de leur identité sexuelle ou de genre sont confrontés en plus à de l’insécurité financière et de logement. Cette précarité s’ajoute aux risques accrus bien connus liés à la santé mentale au sein de la jeunesse 2SLGBTQI+, notamment les risques de dépression, d’anxiété, de troubles alimentaires et de tentatives de suicide.

L’été dernier, le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan a annoncé que le consentement des parents serait obligatoire pour que les élèves de moins de 16 ans puissent être désignés par des pronoms de genre différent à l’école. Cette mesure fait suite à une initiative comparable lancée au Nouveau-Brunswick en 2023. La politique de la Saskatchewan est entrée en vigueur en février 2024. Quelle a été votre première réaction?

J’étais horrifiée. J’en ai eu la nausée. Il s’agit d’une population déjà vulnérable; il me semble injuste de la cibler de cette manière alors qu’elle est exposée à tant de risques terribles.

Quelles conséquences avez-vous pu observer?

Cette mesure pousse un plus grand nombre de jeunes à rester dans le placard et les force à exister dans un monde plus petit, sans savoir s’il est acceptable d’être véritablement soi-même, à qui faire confiance ou qui pourrait être forcé de les trahir.

Les jeunes savent que leurs enseignantes et enseignants sont désormais tenus de révéler à leurs parents leurs pronoms de prédilection. Certains supposent que c’est le cas également pour leur médecin.

Je leur répète donc aussi souvent qu’il le faut que l’information sur la santé est confidentielle, mais il arrive encore que certaines personnes refusent de répondre aux questions sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle, qui font partie intégrante de l’évaluation médicale des jeunes.

En plus d’annoncer sa propre politique en matière de pronoms, le gouvernement de l’Alberta a proposé une politique visant à restreindre l’accès aux soins médicaux pour les jeunes trans et non binaires – y compris l’hormonothérapie, les inhibiteurs de puberté et la restriction ou l’interdiction de la chirurgie d’affirmation du genre pour les personnes mineures. Qu’est-ce que cela signifie pour les jeunes trans?

Les soins aux personnes mineures trans ne sont peut-être que la pointe de l’iceberg : cette politique qui crée un précédent devrait préoccuper toute la population du Canada, car elle introduit un niveau d’intrusion gouvernementale encore jamais vu dans la relation médecin-patientèle. Il est troublant que des professionnelles et professionnels non médicaux – des politiciennes et politiciens n’ayant aucune formation approfondie dans les domaines concernés – approuvent ou bloquent des décisions en matière de santé qui devraient être prises dans le contexte de cette relation médecin-patientèle.

Les associations médicales de tout le pays, y compris l’AMC, ont avancé le même argument contre ces restrictions. En tant que spécialiste en psychologie de l’enfant, que diriez-vous d’autre aux gouvernements à propos de ces politiques?

Écoutez les spécialistes, prenez connaissance des données probantes et ne cédez pas à l’hystérie ou aux peurs paniques injustifiées que suscitent certains sujets. De nombreuses recherches montrent que les jeunes en transition sociale qui se sentent acceptés présentent des taux nettement inférieurs de dépression, d’anxiété, de troubles de l’alimentation et de tentatives de suicide. Une participation sécurisante des parents au processus offre un facteur de protection important, mais tous les jeunes n’ont pas la chance de grandir dans un contexte de sécurité et d’acceptation. Nous devons donc préserver des espaces sûrs – avec les thérapeutes, les médecins, le corps enseignant –, qui contribueront à créer un environnement où l’on peut se sentir soi-même, entièrement et véritablement, et par le fait même, à réduire les problèmes de santé mentale et les risques de gestes autodestructeurs et suicidaires.

Que peuvent faire les médecins pour soutenir les jeunes trans et leurs familles?

Il peut s’agir simplement de porter une broche aux couleurs de l’arc-en-ciel sur son cordon. Les personnes trans ou LGBTQ remarquent ces petits gestes qui leur inspirent confiance. Présentez-vous en précisant vos pronoms et prenez l’habitude de demander à chaque personne son nom et ses pronoms de prédilection.

Si une personne indique que son nom est différent de celui qui figure au dossier, il faut l’accepter et s’y adapter. Vous vous tromperez en cours de route, c’est inévitable; excusez-vous et évitez d’en faire tout un plat.

En ce qui a trait au grand public, j’estime qu’il faut que des personnes de confiance prennent la parole, en s’appuyant sur des données, et que les médecins misent sur leur formation et leur situation privilégiée pour éduquer la population et défendre la cause.

Qu’aimeriez-vous voir changer dans le domaine des soins à la patientèle 2SLGBTQI+ au Canada, en particulier pour les personnes qui s’identifient comme trans ou non binaires?

J’aimerais que les gouvernements adoptent des politiques qui facilitent les soins de santé au lieu de créer ou d’exacerber des problèmes. On devrait mettre en place un processus clair et simple qui permettrait de recevoir des soins d’affirmation du genre, peu importe où l’on vit, sans délai excessif ni intrusion de l’État. Que vous soyez une personne trans, cis ou non binaire, vous avez besoin d’un médecin de famille et vous devez pouvoir consulter un spécialiste en temps voulu, dans un environnement sûr et respectueux. Toute politique visant à rendre notre système de santé véritablement universel, accessible et inclusif profitera également à la communauté 2SLGBTQI+.

C’est le premier mois de la Fierté depuis la mise en place de politiques visant les jeunes trans. Comment pensez-vous qu’elles teinteront les événements au Canada?

C’est une indication que le mois de la Fierté est toujours aussi pertinent. Je pense qu’il y a eu une période où la population est devenue complaisante, en ayant des réflexions du genre : « Ces festivités ont-elles encore leur raison d’être? Le mariage entre conjoints de même sexe est légal et les droits des minorités sexuelles sont protégés. » Ces politiques montrent à quel point ces droits sont précaires, et qu’il existe encore des disparités et de la discrimination envers les groupes marginalisés. C’est pourquoi il est important, aujourd’hui plus que jamais, de s’assurer que les personnes 2SLGBTQI+ sont protégées, incluses et célébrées. Car c’est bien là la raison d’être de la Fierté : il ne s’agit pas seulement d’acceptation, mais aussi d’inclusion et de joie. Tout le monde devrait se sentir en sécurité et libre d’exprimer son identité, pas uniquement les jeunes de 17 ou 18 ans – les personnes mineures également.

La transcription de l’entrevue a été retouchée pour plus de concision et de clarté.

La Dre Tamara Hinz travaille comme psychiatre auprès des enfants et des jeunes à Saskatoon, en Saskatchewan, depuis 2014. Elle travaille en milieu hospitalier, en consultation externe, en service d’urgence (soins de courte durée) et en tant que professeure adjointe à la Faculté de médecine de l’Université de la Saskatchewan.


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