Association médicale canadienne

Je suis médecin et je travaille dans l’hôpital où Brian Sinclair est décédé après avoir attendu plus de 30 heures pour recevoir des soins. Le racisme systémique et les barrières structurelles ont fait défaut à M. Sinclair et ont conduit à sa mort, qui aurait pu être évitée. 

Le système de santé continue de laisser tomber beaucoup d’autres personnes. Chaque jour, lorsque je me rends au travail, je pense à l’expérience de M. Sinclair, à l’histoire de Marcia Anderson, une médecin ayant parlé du traumatisme vécu par son père qui a frôlé la mort, ou aux nombreux autres témoignages que j’ai entendus. Nous avons pris certaines mesures pour améliorer nos systèmes, mais il nous reste encore beaucoup à faire. 

Le Mois national de l’histoire autochtone est l’occasion de réfléchir à l’histoire, au patrimoine et aux contributions des Premières Nations, des Inuits et des Métis. C’est aussi l’occasion de réfléchir à nos démarches personnelles de réconciliation et de nous demander comment, collectivement, nous pouvons faire mieux.

J’ai récemment été nommée présidente de l’Association médicale canadienne (AMC), dans un contexte où nous sommes aux prises avec des iniquités systémiques qui perpétuent le racisme et la discrimination à l’égard des Autochtones dans le secteur des soins de santé.

L’an dernier, Alika Lafontaine — le premier président autochtone des 150 ans d’histoire de l’AMC — a annoncé notre engagement à présenter des excuses officielles pour les torts causés aux peuples autochtones. En tant que porte-parole nationale des médecins, l’AMC considère que ces excuses publiques constituent une étape essentielle pour apporter des changements significatifs dans le domaine des soins de santé et améliorer les relations entre les médecins, les établissements de santé et les peuples autochtones.

Lors de l’annonce, le Dr Lafontaine a parlé de l’importance de rétablir la confiance avant d’entamer un processus de réconciliation. C’est un sentiment partagé par les peuples autochtones auquel je continue de réfléchir dans ma pratique clinique, dans mon travail de représentation et dans d’autres contextes.  

Travaillant dans le centre-ville de Winnipeg, je prodigue des soins à de nombreuses personnes autochtones. Lorsqu’elles racontent pourquoi elles ont peur des médecins et des établissements de santé, je pense à la confiance, à la façon dont elle a été rompue à maintes reprises et à ce que nous devons faire pour la rétablir.  

Des mères autochtones m’ont confié qu’elles ne s’étaient pas présentées à leurs rendez-vous prénataux, parce qu’elles étaient terrifiées à l’idée qu’on leur enlève leur enfant; d’autres personnes m’ont raconté qu’elles avaient été ignorées par des prestataires de soins de santé; et je constate que la patientèle autochtone continue de se heurter à beaucoup trop d’obstacles lorsqu’elle cherche à obtenir des soins de santé.

J’ai soigné des personnes en obstétrique provenant de petites communautés du Nunavut qui ont été transportées par avion un mois avant la date prévue de leur accouchement. Elles se retrouvent face à un événement qui transformera leur vie dans une ville qu’elles n’ont jamais connue, où la culture et la nourriture sont différentes, vivant dans un logement temporaire avec une simple valise, tout en devant gérer les multiples symptômes de la grossesse et, souvent, en laissant d’autres enfants à la maison. Nous avons mis en place ce système médical.

J’ai également entendu des collègues autochtones parler de leur expérience en médecine et du fait de devoir constamment contrer les préjugés de leur patientèle et de leurs collègues non autochtones, tout en étant confrontés aux mêmes obstacles systémiques que ceux rencontrés par la patientèle.

Certains médecins non autochtones peuvent se demander en quoi la présentation d’excuses aux peuples autochtones les concerne. Ils peuvent avoir l’impression qu’on leur reproche les préjudices passés et présents. Mais ces excuses n’ont rien à voir avec des reproches individuels; elles visent à reconnaître que les structures dans lesquelles nous évoluons ont nui et continuent de nuire aux populations autochtones et que ces mêmes structures ont profité aux colonisateurs et continuent de nous profiter aujourd’hui.

Ce sont les réalités de la profession médicale : l’histoire de la profession médicale est enracinée dans celle du Canada. Le serment des médecins qui consiste à ne pas nuire a été violé. Ces violations comprennent les effets dévastateurs des hôpitaux pour « Indiens », les actes imposés par la force ou la contrainte tels que les expérimentations médicales sur des Autochtones, la stérilisation non souhaitée par les patientes et la réinstallation dans des sanatoriums pour les cas de tuberculose, ainsi que le racisme systémique, la négligence et les mauvais traitements qui se poursuivent à ce jour.

L’engagement de l’AMC à présenter des excuses officielles fait partie de sa réponse aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada. Il s’agit également d’une recommandation formulée expressément par le premier Cercle d’orientation stratégique de l’AMC, composé de 16 aînées et aînés, leaders et gardiennes et gardiens du savoir issus des communautés inuites, métisses et des Premières Nations, réunis pour définir notre objectif axé sur la santé des Autochtones.

Les excuses en elles-mêmes ne sont que des mots. C’est un premier pas très important, mais qui doit s’accompagner d’actions. L’AMC mettra en œuvre un plan à long terme pour faire progresser notre objectif axé sur la santé des Autochtones.

À titre personnel, je comprends maintenant que le fait de devenir médecin — puis de réussir dans cette carrière — a été facilité par mon privilège de colonisatrice. Mais je continue d’apprendre à être une professionnelle de la santé sensibilisée à la culture des Autochtones et à être leur alliée. Nous ne sommes peut-être pas personnellement responsables des événements passés, mais nous sommes responsables de ce qui se produira à l’avenir. Ensemble, nous avons le devoir de continuer d’apprendre, d’aider à réparer les torts qui ont été commis, de mettre fin aux préjudices actuels et de bâtir un avenir meilleur.

Joss Reimer, présidente de l’AMC, exerce ses spécialités en santé publique et en obstétrique à Winnipeg. Elle a notamment été médecin-hygiéniste en chef de l’Office régional de la santé de Winnipeg, responsable médicale et porte-parole officielle du groupe de travail du Manitoba sur la campagne de vaccination contre la COVID-19 et directrice médicale de la Santé publique de Winnipeg.

Cet article a été initialement publié sur le site healthydebate.ca

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