Association médicale canadienne

Encore une fois, les médecins se retrouvent au centre de l’actualité québécoise. Ces jours-ci, les nouvelles tournent surtout autour du retrait du forfait accordé par le gouvernement du Québec aux médecins de famille pour la prise en charge de patients orphelins.

Sans surprise, nous avons eu droit à des échanges musclés de part et d’autre sur la meilleure manière d’augmenter ou de maintenir l’accès aux soins. Or, tout cela nous fait perdre de vue les causes profondes de cet enjeu national pour lesquelles les solutions à la pièce ne font malheureusement pas le poids.

Une profession mise à l’épreuve

Le président de la FMRQ, Dr Cédric Lacombe, soulevait, il y a quelques jours, que le portrait négatif qu’ont dressé certains politiciens à propos des médecins de famille a grandement nui à l’attrait de la profession auprès des jeunes diplômés. Je ne peux que le féliciter pour sa lecture lucide de la situation car c’est un sentiment qui habite plusieurs de mes collègues et moi. Les médecins de famille ont l’impression d’être dépeints comme la source de tout ce qui ne tourne pas rond dans le système de santé, alors que tout ce qu’ils veulent est de soigner les patients !

Malheureusement, certains obstacles systémiques nous en empêchent. Le fardeau administratif n’a fait que croitre, malgré les avancées technologiques des dernières décennies, au point où cela gruge substantiellement le temps que nous pouvons allouer aux consultations. À ma clinique de Val d’Or, une fois que j’ai vu tous mes patients de la journée, je reste au bureau pour remplir de la paperasse pendant trois heures. Ajoutez à cela une pénurie de 1 300 médecins de famille, une population vieillissante qui nécessite des soins plus complexes ainsi qu’une vague de départs à la retraite de médecins de famille et vous avez une tempête parfaite pour une crise de la première ligne.

Un signal mal avisé

Comme si ce n’était pas assez, pendant que les médecins de famille font des pieds et des mains pour répondre à la demande, à Ottawa, le gouvernement Trudeau a annoncé lors de son dernier budget une mesure pour augmenter l’impôt sur le gain en capital. Pour les médecins de famille, cela a eu l’effet d’une douche froide.

Il faut savoir qu’un médecin de famille qui pratique en clinique n’a très peu d’autre choix que d’opter pour la constitution en société professionnelle en raison de la nature même de ses services. Plusieurs dépenses sont inhérentes aux fonctions de notre travail car nous devons nous-mêmes mettre sur pied notre clinique, rémunérer nos employés et payer notre matériel médical, entre autres choses. N'oublions pas que les médecins ne jouissent d’aucun fonds de pension et doivent payer leurs propres avantages sociaux.

Le fait que le gouvernement fédéral ne prévoie pas de taux d’exclusion pour les premiers 250 000 $ de gain en capital réalisés au sein des sociétés professionnelles des médecins, contrairement aux particuliers, signifie que l’entièreté des gains accumulés au cours de notre vie de travail est imposable.

L’AMC multiplie les efforts depuis les dernières semaines pour que le fédéral revienne sur sa décision et exclue les sociétés professionnelles de médecins de cette nouvelle mesure car elle pourrait avoir des effets graves sur l’accès aux soins, déjà compromis.

Cela peut sembler farfelu pour certains, mais de nouveaux médecins de famille pourraient choisir des pratiques aux coûts de démarrages plus faibles, comme le milieu hospitalier, plutôt que d’ouvrir une clinique médicale, principal point d’accès essentiel au réseau de la santé. Cela serait particulièrement grave pour les régions.

Je le répète, les médecins de famille font partie intégrante d’une première ligne forte. Nous sommes devenus médecins pour soigner et aider les autres. Les gouvernements ont la responsabilité de nous aider à y parvenir.

Dr Jean-Joseph Condé, porte-parole francophone et représentant du Québec au Conseil d’administration de l’Association médicale canadienne

Cette lettre ouverte a initialement été publiée dans Le Soleil

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